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De la physique à la biologie, des statistiques à la vulgarisation scientifique

, modifié le
22 septembre 2021
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Meriem
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Très tôt intéressée par les mathématiques et après une classe préparatoire PCSI/PC (Physique, Chimie et Sciences de l'Ingénieur/Physique Chimie), Meriem Bensouda Koraichi passe les concours aux écoles d’ingénieurs.

Un parcours à l’interface des disciplines et des univers  

Séduite par l’ESPCI*, elle intègre l’école de la rue Vauquelin pour sa spécificité recherche, son caractère interdisciplinaire et également pour son lien avec l'innovation. Des formats d’enseignements qui la séduisent, notamment par les travaux pratiques et le tutorat. « Une fois par semaine, un chercheur venait nous expliquer son travail. Nous étions par groupes de 5 ou 6 ; il était facile d’interagir avec lui. C’était une formidable opportunité de découvrir le monde de la recherche par ce prisme », témoigne Meriem.

Progressivement, son appétence pour la recherche se développe. Elle effectue ainsi deux stages aux USA. Le premier à IBM, en Californie, dans le domaine de la recherche expérimentale en matière condensée ; « il y avait une ambiance d’émulation et beaucoup de créativité, j’ai beaucoup apprécié la liberté que nous avions là-bas.»

Le deuxième dans un milieu plus académique, dans un laboratoire d’Harvard. À Boston, elle réalise des expériences mais aussi des simulations pour l’étude de la diffusion et la propagation de colloïdes (suspension d'une ou plusieurs substances dispersées régulièrement dans un liquide, formant un système à deux phases séparées).

Je voulais faire plus de maths et de théorie ! Meriem Bensouda Koraichi

En 4e année de l’ESPCI, elle choisit de suivre son master à l’ENS, en physique fondamentale : « Je voulais faire plus de maths et de théorie ! » Rue d’Ulm, Meriem va notamment étudier la physique statistique et la biophysique, permettant de prédire des comportements macroscopiques à partir de la compréhension des configurations microscopiques, pour mieux interpréter les systèmes biologiques.

« Je voulais pouvoir expliquer mon travail à n'importe qui. »

Des maths, de la physique mais aussi de la biologie, dont elle perçoit des applications plus concrètes : « je voulais pouvoir expliquer mon travail à n’importe qui, mais aussi qu’il puisse faire écho à des problématiques essentielles de santé. »

Au même moment, le domaine du machine learning (“apprentissage par la machine”) connaît une forte expansion et ce domaine attire Meriem, qui réalise son stage dans une startup de deep learning (apprentissage profond par la machine).

Entre biologie et informatique, Meriem s’épanouit en mêlant les disciplines et en travaillant dans un domaine qui la passionne de plus en plus. Familiarisée avec le monde de l’entreprise mais ouverte à une carrière plus académique, Meriem recherche alors une thèse entre la physique, le machine learning et la biologie ; elle ne pourra alors qu’être séduite par une offre de thèse au Laboratoire de physique de l’ENS (LPENS), qui regroupe ces trois domaines, sous la direction d’Aleksandra Walczak et de Thierry Mora, deux physiciens théoriciens.

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Flickr - NIAID

Une thèse pour prédire le fonctionnement du système immunitaire

Deux ans plus tard, Meriem Bensouda a parcouru beaucoup de chemins. D’abord en compagnie des lymphocytes T (nommés ainsi à cause de leur lieu de maturation dans le Thymus), qui forment avec les lymphocytes B le système immunitaire adaptatif.

C’est avec beaucoup de pédagogie que Meriem nous explique son sujet de thèse (intitulée « Modèles de dynamiques de répertoires immunitaires par approche de biophysique statistique »).

« Les lymphocytes T et B possèdent une dynamique différente : quand ils vont reconnaître un antigène (bactérie, virus, cellule infectée…), les lymphocytes T vont se diviser s’ils possèdent une affinité avec celui-ci. Mais contrairement aux lymphocytes B qui vont muter, les lymphocytes T vont garder la même information génétique », explique Meriem.

Du fait de cette stabilité des lymphocytes T, Meriem et ses collègues vont pouvoir ainsi travailler sur des modèles de dynamique de population.

Mais quel intérêt pour un physicien d’étudier ce système de lymphocytes T ? « On reconnaît les lymphocytes T par leurs récepteurs, qui vont interagir avec le pathogène. Chaque récepteur est comme une étiquette pour la cellule ; chaque type de récepteur est exprimé par un certain nombre de cellules (population du récepteur) : un récepteur A va avoir 10 cellules, un récepteur B  30...Toutes ces cellules vont constamment  interagir avec les très nombreux pathogènes présents dans notre corps et vont plus ou moins modifier leur population. »

En fait, Meriem essaye de prédire les populations de chaque récepteur en fonction du temps ; une problématique très complexe. En effet, le système immunitaire est efficace car il possède une très grande diversité pour pouvoir combattre tous les antigènes possibles. “On parle beaucoup du Covid actuellement, mais il faut savoir que nous avions déjà des récepteurs qui pouvaient interagir avec le virus, même avant d’être vacciné. Le vaccin par exemple, va juste développer ce nombre de récepteurs”, souligne Meriem. 

Une problématique complexe et une inconnue : la diversité du système immunitaire est mal connue et on ne sait pas combien un être humain possède de récepteurs, même si certains articles scientifiques l’estiment à “10 puissance 9 ”.
Prédire cette dynamique pour un individu sain, une problématique nouvelle car d’une part les outils statistiques ne permettaient pas jusqu'alors de traiter ces données, d’autre part car l’accès aux données s’est démocratisé ces dernières années :« depuis 10 ans, on a accès à des données qui permettent de vérifier tous les modèles, grâce aux nouvelles techniques de séquençage. »

Dans son doctorat, Meriem apprécie la combinaison entre traitement de données et théorie sur un système biologique (des modèles physiques inspirés des théories de mathématique qui permettent de prédire les modèles écologiques) : de la physique, de l’informatique avec le machine learning, Meriem doit interpréter biologiquement le fruit de cet apprentissage par la machine.

Mais le travail de Meriem possède également des applications inattendues, comme par exemple en criminologie : si l’auteur d’un crime possède un jumeau monozygote, son ADN n’est pas suffisant pour le distinguer de son jumeau. « Grâce au système immunitaire, on a prouvé qu’on pouvait distinguer deux personnes différentes, comme une empreinte immunitaire. C’était très intéressant d’un point de vue éthique mais aussi juridique. »​​​​​​​

Meriem a également, comme beaucoup de chercheurs, travaillé sur les données Covid, en essayant de discerner quels lymphocytes T réagissent au Sars-Cov 2.

Faire une thèse, c'est booster sa créativité

Deux ans après le début de sa thèse, quel regard porte Meriem sur celle-ci ?

« La thèse n’est pas un travail linéaire : on avance sur une question, puis on va s’apercevoir qu’on va avoir besoin d’autres connaissances pour répondre à une autre question. On va alors consolider des bases pour construire une culture générale solide du domaine pour pouvoir avancer. »​​​

Meriem souhaitait faire une thèse pour« ​​​​​​​approfondir ses connaissances à fond dans un domaine ». Une démarche active d’apprentissage, d’autant plus exigeante dans un domaine à la croisée des disciplines : «​​​​​​​ Il n’y a pas beaucoup de littérature en immunologie quantitative, il faut donc s’inspirer de ce qui est fait dans d’autres domaines. »

Se documenter mais aussi échanger pour s’inspirer, Meriem cherche continuellement à provoquer des échanges. Convaincue qu’il s’agit d’une clé de compréhension majeure, Meriem a, avant de commencer sa thèse, beaucoup discuté avec des doctorants, des chercheurs, des entrepreneurs mais aussi des salariés ou entrepreneurs.

Une pratique qu’elle possède toujours :«​​​​​​​ au début de ma thèse, j'avais voulu comprendre les données avec lesquelles je travaillais. J’étais donc allé dans les labos échanger avec des médecins afin qu’ils m’expliquent toutes les étapes de leur process et que je puisse comprendre les erreurs potentielles à chaque étape expérimentale. »

Une posture d’ouverture vers les autres qui n’empêche pas une certaine introspection :« la thèse, c’est aussi du temps pour soi, on va beaucoup apprendre sur soi-même, sa manière de travailler,  on va acquérir des compétences pas seulement scientifiques. Je compare cette expérience à la création d’une entreprise. Il faut se gérer, savoir s'organiser. C’est très psychologique. »

Créer son entreprise ou développer son propre projet, Meriem y pense d’ailleurs : « ​​​​​​​j’ai le projet de créer ma propre technologie basée sur la biologie quantitative et le machine learning. Mais je me laisse encore du  temps ! »

La représentation, moteur de médiation et de vulgarisation 

Aux côtés de tous ces projets, Meriem développe également des démarches de médiation scientifique : « ​​​​​​​l’année prochaine, je vais donner des cours d'introduction à la physique pour des normaliens en lettres. Je vais leur expliquer ce qu’est la physique statistique et la biophysique. Pour des personnes qui ne possèdent pas de background en physique, c’est un beau défi ! », s’enthousiasme Meriem.

Avec d’autres doctorants, Meriem travaille également sur l’organisation d’une conférence de jeunes chercheurs en biophysique, Paris Biological Physics Community Day, qui réunit des jeunes chercheurs en biophysique dans la région de Paris afin qu’ils puissent interagir ensemble.

Meriem assurera enfin un volontariat en allant dans des lycées en Seine Saint-Denis pour encourager les jeunes, notamment les femmes, à faire des études scientifiques.

« ​​​​​​​Je suis très attachée à la thématique de la représentation. Je sais que voir des personnes qui me ressemblent et qui font un certain type de travail m’a donné envie de faire ce travail », conclut Meriem avec engagement.

En savoir plus sur les formations de l'ESPCI, établissement membre de PSL

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