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Elie Oriol, explorateur du cervelet, à l’interface de la physique et de la biologie

, modifié le
22 septembre 2021
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 Unsplash - Fakurian Design
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Appliquer la physique au domaine de la santé et à l’humain, c’était la volonté d’Elie Oriol, doctorant au Département de Biologie de l’ENS, alors étudiant à Polytechnique. « J’avais envie de m’orienter dans la recherche, mais je voulais pouvoir sentir un impact, une utilité de mon travail de manière concrète et explicite », explique Elie. Quoi de mieux alors que de tourner le regard vers un système complexe, systémique, fait d’interactions et d’apprentissage : le système nerveux de l’homme ?

Les neurosciences comme objectif

Après une prépa, Elie intègre l’école Polytechnique. Sur les bancs de l’X, Elie rêve de neurosciences. D’abord parce qu’elles mobilisent différentes disciplines : biologie, chimie, mathématiques, informatique, physique mais aussi sciences sociales.

Mais aussi parce que la discipline est récente, en pleine évolution, avec encore beaucoup de défis à relever : « Les outils ont beaucoup évolué depuis les années 90. Aujourd’hui, on peut réaliser beaucoup d'expériences qu’on ne pouvait faire encore il y a quelques années. Et il y a beaucoup de choses qu’on ne sait pas encore ! », s’enthousiasme Elie.

En 4e année de Polytechnique, il intègre le master de physique théorique de l’ENS dans la branche de l’application de la physique à la biologie. Il rencontre alors Vincent Hakim, directeur de recherche CNRS et au LPENS, qui recherche un doctorant sur les thématiques de modèle de physique pour l’apprentissage, en lien avec des biologistes de l’IBENS, notamment l’équipe de Boris Barbour. 

« Cela me plaisait beaucoup de faire une thèse qui mobilisait du théorique, tout en étant en relation avec des biologistes, qui font des expériences, qui traitent des données et observent comment les systèmes se comportent. Nous pouvons ainsi, au regard de ces résultats, établir des modèles théoriques. »

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Unsplash - Robina Weermeijer

Le cervelet, terrain de collaboration entre biologistes et physiciens

Après un stage dans le laboratoire de physique de l’ENS dirigé par Vincent Hakim, Elie débute sa thèse en septembre 2019.

Intitulée « Apprentissage neuronal avec perturbations et une erreur globale », elle s’attache à comprendre le fonctionnement précis des neurones et synapses impliqués dans l'apprentissage d’une tâche.

Avec un terrain de jeu qui se situe à la base du cerveau, où s’opère l’essentiel des fonctions motrices* : le cervelet.

« L’intérêt du cervelet est qu’il est possible de l’associer à des tâches simples que l’on peut faire réaliser par des souris : on va pouvoir par exemple planter des électrodes à des endroits appropriés du cervelet, à l’endroit où l’on pense qu’il se passe des choses pendant que l’animal va apprendre une tâche. »

Observer le fonctionnement des neurones, c’est le travail des biologistes, qui vont envoyer des stimulus (lumière ou son) à des souris avant de leur envoyer, quelques millisecondes après, un souffle d’air brusque dans l'œil. 

La souris va ainsi apprendre à associer progressivement le son et la lumière avec le souffle d’air qui survient ensuite, et donc apprendre qu’il faut fermer la paupière en prévision.

Les neurones impliqués dans cet apprentissage sont aujourd’hui identifiés.

« ​​​​​​​Boris Barbour et Vincent Hakim ont construit une théorie sur l'apprentissage dans cette zone du cerveau, en définissant comment est-ce que les neurones modifient leur activité dans le temps, en fonction des informations qu’ils reçoivent : notamment avec un stimulus désagréable qui constitue un problème. Mon rôle est maintenant de conduire l’étude analytique et d’essayer de comprendre comment convergent les différents éléments en fonction des paramètres du système », explique Elie.

Quelle est la vitesse d'apprentissage, est-ce qu’on peut la prédire ? Comment pourrait-on optimiser ce système ? Comment corriger un dysfonctionnement ?

Ce travail permettra de répondre à ces questions et d'entrevoir de nombreuses applications, notamment médicales.

Appréhender le temps long de la recherche

À la question « ​​​​​​​quel décalage existe t-il entre votre vision du travail de thèse avant de la débuter et votre recul sur celle-ci aujourd’hui », Elie répond sans détour : “La recherche est un processus plus long que je le pensais !”
Progressivement, Elie a en effet intégré le temps long de la recherche, dans un domaine à la croisée des disciplines.

«​​​​​​​ On ne peut pas utiliser des boîtes à outils mathématiques toutes faites pour résoudre nos problématiques. Nous devons réaliser un gros travail théorique, en essayant de comprendre comment on peut dresser l’analyse d’un système impliquant l’aléatoire, très peu décrit et documenté dans la littérature scientifique » : 

Dans ce domaine en constante évolution, Elie a du développer ses propres outils. 

« ​​​​​​​Je ne pouvais pas trouver dans un autre papier des équations qui avaient la même forme et des scientifiques qui avaient trouvé des techniques pour les utiliser. »​​​​​​​

Sa principale découverte durant cette première période de la thèse ? L’algorithme qu’il a développé propose une nouvelle approche par rapport à ceux existants, rapides et efficients mais que le cerveau ne pouvait pas mettre en oeuvre.

« Notre algorithme n’est pas le plus optimal mais il est plus rapide que ce que l’on pensait à l’origine et surtout il est plausible : cela signifie que le cervelet pourrait l’implémenter. »

L’olive et le cervelet

Mais Elie ne veut pas s’arrêter à l’étude du fonctionnement du cervelet. Il veut aller plus loin, ou plutôt plus profondondément, en étudiant l’olive bulbaire, ensemble pair de noyaux situé au centre du cervelet.

Si le cervelet apprend par un système essai / erreur, les messages d’erreur qu’il reçoit sont encore mal compris. C’est l’olive qui va délivrer les messages d’erreur au cervelet, en recueillant des informations sur les stimulus (souffle d’air dans les yeux de la souris par exemple), avant de relayer ce message au cervelet sous la bonne forme, qui va lui permettre d’effectuer la bonne action et de l’apprendre. 

« ​​​​​​​L’olive est une structure très mal comprise, qui a une structure particulière, très différente du reste du cerveau. La manière dont fonctionne l’olive est très peu décrite. L’olive n’est pas qu’un simple relai de l’erreur, il y a un mécanisme qu’on ne comprend pas du tout. »

Pour mieux comprendre son fonctionnement, Elie modélise l’activité des neurones dans cette zone au regard des données expérimentales qui existent depuis quelques dizaines d’années.

Son objectif ? Pouvoir ensuite relier ce modèle au fonctionnement du cervelet pour mieux appréhender le fonctionnement de l’ensemble.

Les applications de cette étude pourraient notamment contribuer à une meilleure compréhension de la maladie de Parkinson ; les troubles de l’oscillation propres à cette maladie étant en effet localisés dans l’olive bulbaire.

Mais Elie reste humble et perçoit tout le chemin qu’il reste à parcourir :« ​​​​​​​Mais nous en sommes loin, nous sommes plus aujourd’hui dans la description pure du système. »​​​​​​​

Biologistes et physiciens main dans la main

Comment Elie vit et ressent la collaboration étroite entre des scientifiques issus de différentes disciplines, notamment biologistes et physiciens ? 

« Nous sommes dans une science de plus en plus spécialisée et mettre beaucoup de monde en interaction permet d’élargir les possibles. Cela permet de se compléter et d’apprendre des domaines bien différents. Quand je suis en réunion avec les biologistes, ils vont pouvoir m’expliquer des choses que je n’aurais pas pu comprendre tout seul. »

Un partage de connaissances comme moteur de la production scientifique mais aussi comme enrichissement permanent sur les manières de travailler avec d’autres profils : « ​​​​​​​Ce qui est également intéressant, ce sont les différentes manières de penser : les physiciens vont réfléchir en terme d'énergie, d'entropie, alors que les biologistes auront une tout autre manière de percevoir un système. »​​​​​​​ Une collaboration «​​​​​​​ facile et fluide » pour Elie, d’autant plus naturelle que beaucoup de chercheurs en biologie viennent, à l’ENS, de la physique.

Quand on lui demande la manière dont il perçoit son travail de chercheur, Elie avance tout de suite la liberté qu’il procure “Personne ne me donne des horaires ou me met la pression sur des objectifs” mais aussi son antagoniste : “Il faut du coup parvenir à gérer son travail de manière très individuelle et autonome”.

Avec un facteur capital : la confiance : « ​​​​​​​j’apprécie beaucoup le fait d’être libre dans mon travail, d’explorer les questions que je souhaite. On nous fait confiance dans la pertinence de ce que je vois et ce que je propose. c’est très précieux ! »

Après le cervelet, la planète ? 

Avec une fin de thèse prévue en septembre 2023, comment Elie envisage la suite ? 

« Peut-être partir sur les problématiques climatiques, à l'interface de la biologie et de la physique, notamment en mobilisant la physique statistique. Avec une multitude d’agents qui ont des comportements locaux, un comportement global va émerger. À partir des lois locales qui régissent le système, on peut comprendre le comportement global. C’est ce qui est intéressant dans la physique statistique mais également dans la biologie : il y a beaucoup d’entités qui ont des comportements locaux (fourmis, neurones) ; on peut essayer de comprendre le comportement global qui émerge du système en utilisant les outils de la physique. »

*Même si des découvertes récentes montrent que le cervelet est également impliqué dans des processus cognitifs. 

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